Et si votre dentiste vous proposait de vous hypnotiser?
- UdeMNouvelles
Le 23 mai 2025
- Martin LaSalle
L’hypnose pourrait faire partie des approches en dentisterie visant le mieux-être des patients, à condition que les dentistes soient formés en la matière, estime la doctorante Angélique Thibault.
L’hypnose pourrait jouer un rôle dans au moins trois domaines de la dentisterie, soit la gestion de la douleur aigüe lors des traitements, la réduction de l’anxiété dentaire et le soulagement des douleurs orofaciales chroniques.
C’est ce qui ressort d’une analyse documentaire réalisée par Angélique Thibault, doctorante à la Faculté de médecine dentaire de l’Université de Montréal, en collaboration avec les professeurs Pierre Rainville et Nathalie Rei.
Dans un article publié dans l’American Journal of Clinical Hypnosis, l’étudiante rapporte des résultats selon lesquels l’hypnose pourrait devenir un outil complémentaire pour les professionnels de la santé buccodentaire.
Son analyse repose sur 12 revues systématiques et méta-analyses publiées entre 2000 et 2024, en étant axée sur les données les plus récentes. La plupart des recherches étudiées proviennent d’Allemagne, où l’hypnose est intégrée dans certaines pratiques médicales, ainsi que des États-Unis, de même que d’autres pays dont le Danemark, l’Italie, la Chine et l’Inde, pour ne nommer que ceux-là.
«L’hypnose thérapeutique, contrairement à son image populaire, est un état de conscience modifié qui permet une attention focalisée et une réceptivité accrue aux suggestions de relaxation ou d’analgésie par exemple», explique-t-elle.
Les effets de l’hypnose sur la douleur et l’anxiété
C’est du côté de la gestion de la douleur aigüe pendant les traitements dentaires – dont l’extraction ou la réparation d’une carie avec anesthésie locale – que l’hypnose semble plus prometteuse.
En général, la diminution de la douleur perçue par les patients s’est traduite par une utilisation moindre de l’anesthésie locale pour le traitement de la carie et des analgésiques postopératoires dans les cas d’extractions dentaires. L’une des études citées montre que 45,2 % des patients sous analgésie hypnotique focalisée n’ont ressenti aucune douleur lors d’une stimulation pulpaire pendant un traitement de canal, contre 16,1 % avec une induction hypnotique standard.
«De plus, l’hypnose a eu un effet bénéfique sur certains paramètres physiologiques chez bon nombre de patients, dont une baisse de la fréquence cardiaque et de la pression sanguine, ce qui indique une réduction du stress et de la douleur», affirme Angélique Thibault.
Pour les patients anxieux, l’hypnose s’est aussi avérée un outil efficace. D’après les études, elle réduit l’anxiété avant et pendant les soins, avec des effets souvent supérieurs à ceux de méthodes comme la distraction audiovisuelle. Chez les enfants, l’hypnose diminue les pleurs et la résistance verbale tout en stabilisant le rythme cardiaque.
Pour les douleurs orofaciales chroniques, comme les troubles de l’articulation temporomandibulaire, les résultats sont plus limités en raison du nombre restreint d’études. «Néanmoins, l’hypnose semble améliorer l’ouverture maximale de la bouche et atténuer la douleur ressentie au quotidien, souligne Angélique Thibault. Une étude a permis d’observer une réduction de 55 % de la douleur autoévaluée après des séances d’hypnose, contre seulement 3,8 % dans le groupe témoin.»
La doctorante mentionne toutefois que l’hypnose ne peut être utilisée seule dans tous les cas. «Il n’y a pas suffisamment de personnes qui répondent parfaitement à l’hypnose pour parler d’une analgésie complète, dit-elle. Elle doit être considérée comme un complément aux techniques traditionnelles pour améliorer l’expérience et la qualité des soins.»
Les défis de l’intégration de l’hypnose en dentisterie
Malgré ces résultats intéressants, l’hypnose reste peu utilisée en pratique dentaire. L’un des principaux obstacles est, selon Angélique Thibault, le manque de formation des professionnels: seulement 2 des 10 facultés de médecine dentaire canadiennes qu’elle a consultées intègrent brièvement l’hypnose dans leur cursus. «Il y a un réel besoin d’informer sur cet adjuvant, de standardiser les techniques et la formation des dentistes pour arriver à intégrer l’hypnose dans les contextes cliniques», déclare-t-elle.
Un autre défi est l’hétérogénéité des études existantes. «Les techniques d’hypnose varient grandement, allant du recours à un hypnothérapeute externe à des enregistrements audio ou à l’hypnose pratiquée par le dentiste lui-même, énumère-t-elle. De plus, la majorité des études ne décrivent pas clairement les protocoles utilisés, ce qui rend difficile la reproductibilité des résultats.»
Pour que l’hypnose devienne un outil plus courant en dentisterie, plusieurs étapes sont nécessaires, à commencer par une standardisation des techniques et des protocoles. «Des formations pour les dentistes et leurs équipes pourraient être mises en place, comme celle offerte par la Société québécoise d’hypnose», suggère Angélique Thibault.
Ensuite, des études plus rigoureuses, avec des groupes témoins actifs et des descriptions détaillées des interventions, sont nécessaires pour renforcer les preuves scientifiques. À cet égard, la doctorante plaide pour une intégration de l’hypnose dans les cursus universitaires afin que les futurs dentistes soient familiarisés avec cette méthode et puissent même élaborer des projets de recherche.
Enfin, une meilleure compréhension de l’hypnose thérapeutique par le grand public est cruciale. «L’hypnose n’est pas un spectacle, mais un outil médical sérieux», conclut-elle. Avec une adoption progressive et une recherche approfondie, l’hypnose pourrait un jour devenir un outil usuel des soins dentaires, améliorant le confort des patients et réduisant le recours aux médicaments.
À propos de cette étude
L’article «Evidence-based practice of hypnosis in dentistry: Narrative summary of reviews and meta-analysis», par Angélique Thibault, Pierre Rainville et Nathalie Rei, a été publié dans l’American Journal of Clinical Hypnosis.